ANALYSE - Les vols, violences et agressions sexuelles dans les transports en commun sont en augmentation constante en France depuis plusieurs années. Sans surprise, la région parisienne concentre l’essentiel des délits constatés. Décryptage des nouveaux enjeux de sécurité avec Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative Police CFDT.
FACTUEL. Dans un rapport publié en septembre dernier, le service statistique de l’Intérieur (SSMSI) a enregistré 124.570 victimes de vols et de violences pour 2022 dans les différents transports publics du pays. Cela représente une hausse de 2% par rapport à l’année 2021 et une augmentation tendancielle depuis plusieurs années. Comment expliquer un tel niveau de violence ?
Denis JACOB. On peut l’expliquer par différents facteurs. En ce qui concerne les violences sexuelles (en hausse de 13% sur la France entière et de 19% en Île-de-France, NDLR), le contexte de libération de la parole explique en partie cette augmentation. Cela ne veut pas forcément dire qu’il y avait moins de violences sexuelles avant, cela veut dire que les femmes victimes de telles infractions se sentent davantage soutenues et moins pointées du doigt. On a désormais une nouvelle approche de la prise en charge des victimes. Leur parole est davantage prise en considération.
« On ne traite pas une victime d’agression sexuelle comme on traite une victime de vol de sac à main. »
Pour vous donner un exemple concret, dans les écoles de police, il y a une formation accentuée des agents pour la prise en charge spécifique des victimes d’agressions sexuelles. Je dirais qu’il y a une révolution culturelle et un changement de doctrine sur le traitement des agressions sexuelles. Cela peut expliquer, entre autres, cette augmentation statistique. Du côté de la police nationale, il y a eu depuis quelques années une prise de conscience de la nécessité d’accueillir spécifiquement ces victimes. On ne traite pas une victime d’agression sexuelle comme on traite une victime de vol de sac à main. Cette prise de conscience se généralise dans tous les organismes publics, donc à la SNCF et à la RATP pour ce qui est des transports en commun. Nous disposons désormais des structures adéquates pour recueillir la parole des victimes. L’effet #MeToo a indéniablement joué.
Les vols sans violence (faucheurs et pickpockets) représentent à eux seuls 82% des victimes dans les transports en commun. À quel type de délinquance a-t-on affaire ?
Sur les vols et les agressions dans les transports en commun, c’est toujours les mêmes réseaux et les mêmes filières. Il y a incontestablement une augmentation à ce niveau-là. C’est très souvent les mêmes profils. Sur les vols et les pickpockets, ce sont le plus souvent des Roms, cela n’a pas changé. Il y a aussi le petit voyou qui agit de manière opportuniste, qui vient pour voler des effets des usagers des transports en commun.
La carte détaillée de la répartition des vols et des violences dans les transports en commun montre un décalage énorme entre la région parisienne et le reste de la France : plus de 53.000 victimes à Paris sur l’année 2022 (soit près de 25 victimes pour 1000 habitants), contre 9500 pour le Rhône (5 pour 1000) ou 2500 pour le Nord (1 pour 1000). Comment expliquer de tels écarts ?
Deux facteurs l’expliquent principalement : la densité de population plus importante à Paris et dans sa région, et la facilité d’utilisation des transports en commun en région parisienne. Le maillage du territoire francilien est sans commune mesure avec le reste de la France. Par ailleurs, la promiscuité des transports en commun en région parisienne « facilite » le vol ou les agressions sexuelles. Quand les usagers sont serrés comme des sardines dans une rame de métro, il est plus facile pour un pickpocket ou pour un frotteur de commettre son méfait. Il est plus facile pour un agresseur de passer inaperçu de sa victime. Le fait que les transports en commun ferment plus tard en région parisienne peut également expliquer cette différence avec le reste du territoire français.
« L’enjeu, c’est d'identifier les auteurs et de procéder à leur interpellation. On peut toujours demander plus d’agents pour sécuriser et pour dissuader les agresseurs, mais le risque zéro n’existe pas, hélas. »
Faut-il imaginer d’autres mesures pour remédier à ce problème d’insécurité dans les transports en commun ? Un renforcement des effectifs de police et d’agents de sécurité de la RATP peut-il suffire ?
Non, ce n’est pas possible de faire plus que ce que l’on fait actuellement. Nous sommes déjà débordés Il y a déjà 146.000 gradés et gardiens dans la police nationale déployés dans toute la France. Il faudrait multiplier par 10 le nombre de fonctionnaires de police. Malheureusement, la résolution de ce type d’affaires ne pourra se faire qu’a posteriori des faits. Pour cela, il faudra compter sur les nouvelles technologies : la reconnaissance faciale, le développement de la vidéosurveillance dans les transports en commun. Il y a déjà des caméras dans les transports, mais si vous n’avez pas d’agents derrière pour surveiller toutes les rames et toutes les voitures. L’enjeu, c’est d'identifier les auteurs et de procéder à leur interpellation. On peut toujours demander plus d’agents pour sécuriser et pour dissuader les agresseurs, mais le risque zéro n’existe pas, hélas.
Dans les transports en commun, les victimes sont plus souvent des étrangers (27% contre 13% dans les autres lieux publics), en particulier ceux qui viennent de pays hors UE. Faut-il craindre une explosion des violences dans les transports à l’occasion des JO ?
On peut bien sûr le redouter. La reconnaissance faciale est justement un des sujets au cœur du dispositif de sécurité actuel, sur la plaque parisienne notamment. On aura également un important déploiement de drones à l’occasion des Jeux olympiques. La priorité, ce sera de se focaliser sur les espaces de forte concentration de personnes pour les JO : les bords de Seine pour la cérémonie d’ouverture, les abords des épreuves, et bien sûr les transports en commun de la région parisienne. Des milliers de policiers et de gendarmes de province vont venir renforcer les effectifs parisiens, mais ce ne sera jamais suffisant pour sécuriser tous les lieux publics non seulement de la région parisienne, mais aussi de la France entière.