Plusieurs syndicats de policiers réclament une évolution de la doctrine en matière de répression des rodéos motorisés après la diffusion, lundi 8 août 2022, d'une instruction du ministre de l'Intérieur. Gérald Darmanin souhaite intensifier le nombre d'opérations de contrôle d'ici la fin du mois, après que deux enfants ont été blessés à Pontoise (Val-d'Oise) samedi dernier…Alternative police-CFDT, Alliance police nationale et l'UNSA souhaitent légaliser la méthode du "contact tactique" ou "tamponnage". Unité SGP police-FO est plus mesurée. Des parlementaires sont favorables à une expérimentation.
Gérald Darmanin a demandé, lundi 8 août 2022 par la voie d’une instruction adressée aux DGPN, DGGN, et aux préfets, d’atteindre les 10 000 opérations de contrôles pour lutter contre les rodéos motorisés dans le mois, soit deux milles de plus qu’au cours des deux derniers mois. Cet objectif chiffré est fixé à la suite du grave accident causé par un adepte de cette pratique à Pontoise (Val-d’Oise) sur deux enfants âgés de 10 et 11 ans. L’auteur présumé des faits a été placé en détention provisoire.
Le ministre de l'Intérieur demande, dans ce document, "la plus grande fermeté" et réitère les mesures à mettre en place pour prévenir et réprimer ce phénomène, tel qu’il l’avait fait au mois de mai dernier et en juin 2021. Il encourage à conduire "des opérations de contrôles coordonnées dans les secteurs et les axes les plus exposés", à "optimiser l’usage de la vidéoprotection" pour orienter les effectifs sur le terrain, et à initier "systématiquement" des procédures judiciaires pour identifier les auteurs et confisquer les véhicules. Gérald Darmanin insiste en particulier sur les outils renforcés par la loi "responsabilité pénale et sécurité intérieure" du 24 janvier 2022 qui "interdit" la restitution d’engins non-homologués ayant servi à la commission de l’infraction
Injonctions contradictoires
Alternative police-CFDT considère que ces injonctions entrent en contradiction avec d’autres instructions adressées aux policiers. "La loi permet de condamner les auteurs de rodéos mais il faut pouvoir interpeller. Or les policiers ont l’interdiction de le faire [en poursuivant le véhicule] sauf dans des cas bien précis". Ces cas de figure sont prévus par l’instruction de commandement numéro 89 de la DCSP datée du 20 août 2020 alors signée par Jean-Marie Salanova, indique à AEF Denis Jacob, secrétaire général. Avant d’envisager toute évolution, le syndicat préconise de pouvoir recourir aux drones "pour suivre les individus une fois qu’ils ont fini le rodéo et rentrent à leurs domiciles", de renforcer le développement de la vidéosurveillance et son exploitation "généralisée en temps réel" et à "sanctionner la diffusion des images sur les réseaux sociaux qui concourent à encourager la pratique".
Alternative demande ensuite au ministre de faire annuler l’instruction numéro 89 qui n’autorise la poursuite de véhicules qu’en cas de "faits d’une grande gravité" commis par l’auteur ou un occupant du véhicule, à savoir la fuite ou l’évasion d’un individu armé "ayant l"intention d’attenter à la vie d’un tiers", d'"auteurs, armés ou non, d’un crime de sang", ou d'"auteurs non identifiés d’autres crimes ou de délits aggravés entraînant un préjudice corporel". La note exclut formellement les autres situations pénales "de toute poursuite systématique et notamment les refus d’obtempérer". Et met également l’accent sur la sécurité des fonctionnaires et autres usagers.
Plusieurs députés favorables à une expérimentation
Alternative police-CFDT appelle le ministre de l'Intérieur et les parlementaires "à étudier la possibilité de légiférer afin de transposer en France la méthode anglaise du 'contact tactique' dite méthode du 'tampon'" dans certains cas". Elle consiste "à neutraliser les auteurs de rodéos urbains en percutant leur véhicule pour les faire tomber à terre. Cette pratique, non létale, utilisée en Angleterre contre les auteurs de vols à l’arraché à démontrer toute son efficacité", assure le syndicat. Plusieurs députés, tels que François Jolivet (Indre, Horizons), Charles Sitzenstuhl (Bas-Rhin, Renaissance) et Romain Baubry (Bouches-du-Rhône, Rassemblement national) s’y sont montrés favorables notamment dans un cadre expérimental.
Philippe Gosselin, (Manche, Les Républicains) et Natalia Pouzyreff (Yvelines, Renaissance), ex-rapporteure de la proposition de loi sur les rodéos urbains et d’une mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi du 3 août 2018 sont également exprimés sur le sujet de la répression des rodéos motorisés. Dans son rapport d’information daté de septembre 2021, la députée avait pour sa part préconisé d'"engager une réflexion" sur cette méthode britannique "pour les cas les plus graves nécessitant une intervention immédiate" par des membres des forces de l’ordre spécialement formés. Aucun chiffre récent ne permet de documenter le nombre de blessés et de décès à la suite d’une intervention policière outre-Manche.
Quelle sécurité juridique dans avec ou sans "contact tactique" ?
Alternative plaide concrètement pour la mise en place d’un "cadre juridique avec des conditions d’usage proportionné" et une formation obligatoire à l’emploi de la technique. En l’absence d’évolution du cadre légal et d’intervention des effectifs, le syndicat s’interroge sur la responsabilité des fonctionnaires et de l’État : "Que dira‐t‐on à un policier qui n’a pas intercepté l’auteur d’un rodéo urbain qui, quelques instants plus tard, percute un passant ou un riverain, le blesse gravement voire le tue ?"
Unité SGP police-FO soulève quant à elle la question de la protection juridique des personnels en cas de légalisation du "contact tactique" : actuellement, "il n’y a pas la sécurité juridique pour les agents donc on n’est pas près de l’accepter. Si demain, on nous somme de le faire, qu’on a changé les textes et qu’on protège nos collègues d’un point de vue juridique, on verra notre position", a déclaré Jérôme Moisant, secrétaire national du syndicat sur BFM TV. Le SCSI et SICP pointent pour leur part la question plus générale des moyens.