La question, sensible, revient dans l’actualité après la mort dramatique en fin de semaine dernière d’Élias, poignardé à la sortie de son entraînement de football à Paris. Deux mineurs de 16 et 17 ans ont été mis en examen et placés en détention provisoire. Ce qui n’a pas empêché de nombreux responsables politiques de dénoncer un supposé laxisme de la justice des mineurs
« Nous devrions nous saisir de cette question du port des armes blanches », a affirmé mardi 28 janvier François Bayrou à l’Assemblée nationale. « L’idée que des couteaux portés par des jeunes ne fasse l’objet d’aucune sanction, ça nourrit aussi le sentiment d’impunité », a ajouté le Premier ministre.
Une déclaration jugée peu opportune par Muriel Églin, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. « On ne peut laisser se diffuser l’idée que la justice ne fait rien face à ce problème », affirme-t-elle en expliquant que le parquet est systématiquement avisé par les policiers de l’interpellation d’un mineur avec une arme.
« Porter un couteau est une infraction à part entière, comme un vol. On ne laisse rien passer », assure Muriel Églin. « Un mineur, porteur d’un couteau, peut être placé en garde à vue, et son arme est bien sûr confisquée. Ensuite, le parquet peut décider d’une alternative aux poursuites. Le jeune est alors présenté au délégué du procureur, qui peut prononcer une mesure de réparation. Il peut aussi être convoqué devant un juge des enfants et faire l’objet d’une mesure éducative. Si le cas est jugé plus grave, il peut même être renvoyé devant le tribunal pour enfants et se voir infliger une sanction pénale. »
À la différence des mineurs, les majeurs ont le droit d’acheter des armes blanches mais doivent avoir un « motif légitime » pour les avoir sur eux sur la voie publique. Dans le cas contraire, la personne peut être conduite au commissariat, un officier de police judiciaire étant alors chargé d’informer le parquet.
« Dans l’immense majorité des cas, si l’individu n’a rien d’autre à se reprocher, cela se termine par un classement sans suite », confie un policier. « Résultat, on a tous le sentiment d’avoir un peu perdu notre temps. »
Pour désengorger les tribunaux et limiter les procédures pour les forces de l’ordre, le ministère de la justice a mis en place en avril 2024 une expérimentation dans une douzaine de parquets (1) afin de sanctionner le port d’une arme blanche par une amende forfaitaire délictuelle de 500 €. Un montant porté à 400 € si le contrevenant paie tout de suite.
« Le but est d’abord de marquer l’interdit en délivrant une sanction immédiate dans des cas où il n’y aurait pas forcément eu des poursuites », souligne-t-on à la chancellerie.
Ce sont les forces de l’ordre qui doivent apprécier, au cas par cas, si le motif présenté par le porteur du couteau est fondé.
« Cela n’est pas toujours simple. On voit beaucoup de gens, dans le centre-ville de Nantes, vous dire qu’ils portent un couteau pour se faire un casse-croûte… », indique Thierry Audouin, secrétaire adjoint zone ouest pour le syndicat Alternative Police CFDT.
« Beaucoup d’autres affirment aussi avoir une arme pour se défendre en cas d’agression », ajoute-t-il. Rien de nouveau.
« Quand j’ai commencé ma carrière en 1995, j’entendais déjà des mineurs me dire que leur couteau leur servait à se protéger », raconte Muriel Églin. « Beaucoup disaient aussi que si la lame était plus petite que la paume de leur main, c’était autorisé. Une idée reçue aussi fausse que tenace. »
Pour Thierry Audouin, l’amende forfaitaire n’est guère dissuasive.
« On confisque des armes à des individus qui vont se débrouiller pour ne pas payer l’amende et racheter le lendemain un autre couteau. Ce sont des armes faciles d’accès et très peu chères », souligne le policier, qui constate que de « plus en plus d’individus n’hésitent plus à sortir cette arme et à s’en servir, pour des motifs parfois futiles ».
(1) Bobigny, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Pontoise, Rennes, Saint-Étienne, Toulouse et, depuis mai 2024, Paris.