C'est tout un systèmeque vient d'épingler le tribunal administratif de Paris à la fin du mois de janvier. Les mutations des policiers pour l'année 2014 vers Bordeaux, la Guadeloupe et la Réunion ont été purement et simplement annulées. Un camouflet pour la gestion des carrières au sein du ministère de l'Intérieur. Ce jugement sévère — il stigmatise une « procédure irrégulière » — fait suite à une série de plaintes déposées par des policiers en poste en région parisienne qui s'estiment lésés par rapport à certains de leurs collègues. « Tous les policiers en poste à la suite des mutations de 2014 sont dans une situation illégale, soutient Me Anne-Constance Coll, qui a défendu trois de ces fonctionnaires. L'administration va devoir les réétudier et refaire une liste. » La décision semble avant tout d'une portée symbolique car il est peu probable que l'Intérieur organise le rapatriement de dizaines de fonctionnaires en poste depuis près de deux ans.
Mais elle met en lumière le manque de transparence d'un système hérité de l'après-guerre, souvent assimilé à une cogestion entre syndicats et administration. S'ils restent limités, les recours se multiplient parmi les 110 000 policiers français (hors agents administratifs).
Sur les réseaux sociaux, un nombre croissant d'entre eux s'étonnent de voir leurs demandes de mutation rejetées au profit d'autres fonctionnaires moins expérimentés. Les carrières se font et se défont lors des commissions administratives paritaires (CAP), où siègent représentants de l'administration et syndicats. Il existe deux mouvements de mutations dans l'année.
Le plus important numériquement, dit polyvalent, est fonction du nombre de points acquis grâce à l'ancienneté. L'autre, appelé profilé, concerne des qualifications et des postes précis. En 2014, l'ensemble de ces mouvements concernait 3 328 fonctionnaires.
Mais les appuis syndicaux (70 % des policiers adhèrent à une centrale) ou politiques rendent possibles des avancements à titre dérogatoire. Ceux-ci permettent notamment d'accéder à des postes dans des villes très demandées telles que Bordeaux, Nantes et Biarritz ou encore sur l'île de la Réunion... Quitte à créer sur mesure un poste qui, sur le papier, n'existe pas. Les syndicats disposent en effet d'une liste discrétionnaire, dont l'importance est fonction de leur représentativité.
Officiellement, elle recense les mutations ponctuelles, connues dans le jargon sous le nom de... « liste magique ». Selon une source interne à la police, pour la CAP de juin 2015, cette liste comportait 167 noms, à rapporter aux 1 390 mutations classiques. Philippe Capon, secrétaire général du syndicat Unsa-Police, représentant les gradés et gardiens, concède des excès dans le passé mais vante la souplesse du système : « Ces mutations ponctuelles ont toujours existé. Elles participent du dialogue social et permettent de régler rapidement des dossiers sociaux. »
Un nouveau syndicat, Alternative Police nationale, a pris le contre- pied de ces pratiques par la voix de son secrétaire général, Denis Jacob. S'attirant ainsi les foudres de ses collègues. « Au cours de ses vingt ans de carrière syndicale, Denis Jacob a progressé plus vite que n'importe quel policier en termes d'avancement », tacle Philippe Capon. L'affaire de la liste magique réveille la guerre syndicale.