C’est avec du retard que Denis Jacob nous reçoit dans son bureau. Le policier à la stature imposante a un emploi du temps millimétré, entre ses obligations syndicales et les sollicitations des médias. C’est que le Secrétaire général d’Alternative Police CFDT, quatrième organisation représentative au ministère de l’Intérieur, n’a pas été épargné par l’actualité des Gilets jaunes qui, depuis novembre 2018, a mis sur le devant de la scène la question du maintien de l’ordre.
Avant d’exercer sa mission syndicale à temps plein, Denis Jacob est passé par les trois grands services de la sécurité publique : le maintien de l’ordre, l'anti-criminalité et la police de proximité. Il décide de devenir policier en 1988, alors qu’il remplit son service militaire. « J’ai été séduit par le caractère cadré de l’armée », raconte-t-il. Effectivement, Denis Jacob est un homme méticuleux. Sur son bureau, rouleau de scotch, post-it, porte-cartes et agenda sont ordonnés, à tel point que nous hésitons avant de poser notre dictaphone.
Mais l’homme nous met vite à l’aise en dévoilant un côté bavard, qui annonce une conversation riche et passionnée.
« BOUC ÉMISSAIRES D’UNE COLÈRE »
Son sens du collectif et la force de ses convictions, c’est ce qui l’a poussé à fonder Alternative Police CFDT en 2015, après avoir quitté Alliance Police Nationale. « Je ne me retrouvais pas dans les autres syndicats. J’ai donc créé ma propre structure
avec l’idée que j’avais de la défense des salariés. »
Certains sujets ne le laissent pas insensibles. Celui qui a été ouvrier aux 3x8, entre sa scolarité à l’école de police et sa première affectation en banlieue parisienne, comprend la colère des Gilets jaunes. « C’est un malaise qui n’est pas nouveau, qui se concrétise dans la rue et qui aurait dû engendrer une réponse politique. »
Cette réponse n’a pas eu lieu : « Une faute politique », que Denis Jacob a dénoncée dès les premiers mois du mouvement et qu’il fustige également lorsqu’on lui parle des quartiers dits « sensibles ». « Les policiers sont devenus les bouc émissaires d’une colère exprimée à la suite d’une non-réponse de l’État, explique-t-il. C’est la conséquence d’une inaction politique, sociale, économique et en matière de politique de la ville. » Et de se remémorer ses années d’îlotage, dans la cité de la Caravelle à Villeneuve-la-Garenne, quand les policiers étaient des acteurs à part entière du quartier et qu’ils entretenaient de réelles relations avec la population.
Même si se sont agrégées aux mouvements sociaux « des personnes qui n’ont rien à voir avec les manifestants et ne viennent que pour en découdre avec l’autorité de l’État », Denis Jacob persiste et signe : « Le maintien de l’ordre ne doit pas
être une réponse violente à la violence. » Il évoque les 2 000 postes de Compagnies républicaines de sécurité (CRS) supprimés sous la présidence de Nicolas Sarkozy : « 2 000 agents que l’on n’a pas sur le terrain. » Raison pour laquelle ont été mobilisés d’autres corps de la police non formés au maintien de l’ordre, comme la Brigade anti-criminalité (BAC), plutôt habituée aux émeutes urbaines.
« COMME TOUT LE MONDE »
Lorsque nous lui parlons du « schéma national du maintien de l’ordre », qui a fuité sur Libération.fr quelques jours avant notre rencontre, Denis Jacob reconnaît n'avoir pas été consulté par le ministère de l'Intérieur. De manière générale, Alternative Police CFDT plaide pourtant pour des mesures qui créeraient les conditions d’une désescalade de la violence, davantage de communication et de transparence. Par exemple, l’utilisation de véhicules dotés de mégaphones très puissants pour informer les manifestants des actions de la police et leur permettre, par exemple, de quitter le cortège lorsque s’annoncent les affrontements. En facilitant les relations entre manifestants et forces de l'ordre, ce type de mesure créerait de meilleures conditions de travail pour les policiers.
Car bien loin du stéréotype du « flic qui va en manif’ pour taper », « les collègues vont travailler le matin en espérant que tout se passe bien et que ça s’éternise le moins possible pour qu’ils puissent rentrer chez eux ». Avant de conclure : « On est comme tout le monde : on aspire à avoir une vie de famille, sans rentrer blessés le soir ou se retrouver à l’hôpital. Ce qui vaut également pour les manifestants. »