Charlotte Lesage
« Les gamins veulent en découdre » : les couteaux et armes blanches, un fléau au collège et au lycée ?
Nîmes, Paris, Bagneux... Plusieurs agressions au couteau entre mineurs ont été rapportées et médiatisées depuis le début du mois de mars. Des syndicats de police pointent auprès de BFMTV un armement de « plus en plus voyant », alors que les syndicats d'enseignants assurent qu'il n'y a « pas d'explosion ».
Poignardé à 13 ans aux abords de son établissement scolaire. L'agression à l'arme blanche d'un collégien, qui s'est déroulée à Nîmes au début du mois de mars, a profondément choqué en raison de l'âge de l'agresseur présumé : 16 ans.
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À Marseille, cette semaine, un jeune de 15 ans a été mortellement poignardé par un autre adolescent. Début janvier à Paris, deux mineurs ont été placés en garde à vue après la mort d'un adolescent tué à coups de couteau pour son téléphone portable. Un mois plus tard, à Bagneux (Hauts-de-Seine), un lycéen de 17 ans a été gravement blessé au couteau dans la cour de son établissement scolaire par un camarade.
« Ils ne le voient pas forcément comme une arme »
« Le couteau est une arme facile que les jeunes ne voient pas forcément comme telle, mais qui le devient à un moment donné », analyse Thierry Delcourt, psychiatre spécialisé en pédopsychiatrie et expert auprès des tribunaux, auprès de BFMTV.com.
« Ce que je constate chez les jeunes qui ont été arrêtés, c’est qu'ils ont agi alors qu'ils ne pensaient pas le faire. »
Pour illustrer son propos, le psychiatre évoque la fois où un collégien, qui avait un couteau dans la poche « manifestement sans intention », l'a sorti « à la sortie du collège et l'a planté pour une sombre histoire de copain et copine ». « C'est parti plus vite qu'il ne l’attendait et sans intention », ajoute Thierry Delcourt.
« Le couteau signifie qu'il va y avoir un corps-à-corps dans lequel on va être blessé. Les délits ou les crimes à l'arme blanche arrivent plutôt sans qu'on le prévoit car c'est un combat rapproché et on risque trop », analyse de son côté un psychologue de la protection judiciaire de la jeunesse de Gironde.
Le coup de couteau peut aussi être intentionnel. À Reims, « un élève qui était harcelé à cause de sa condition sociale est venu avec un couteau dans la poche. Même si elle n'était pas complètement consciente, il avait quand même l'intention de régler ses comptes », explique Thierry Delcourt. « Il a donné un coup de couteau et le garçon est mort ». Là aussi, les faits se sont déroulés à la sortie des cours.
Au sein des établissements scolaires, « on s'aperçoit qu'un élève a un couteau sur lui dans plusieurs cas », rapporte Jean-Rémi Girard, président du syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc). « On a l'élève harcelé qui ne se sent pas en sécurité et qui le prend en disant : « je peux me défendre ». On a aussi le cas de l’élève qui veut montrer son couteau à ses camarades et qui le sort », détaille le président du syndicat.
Pour Jean-Rémi Girard, la présence des armes blanches dans les établissements scolaires est « très compliquée à quantifier ». « On n'assiste pas à une explosion de la présence d'armes blanches », tempère le président du syndicat. « L'école est un lieu où les élèves sont plus en sécurité à l'intérieur qu'à l'extérieur », ajoute-t-il.
Comment expliquer cette présence du couteau lors de rixes entre mineurs ? « La facilité d'accès au couteau est plus grande que l'arme en elle-même », détaille Benjamin CAMBOULIVES, porte-parole du syndicat Alternative Police CFDT. « Le couteau dans le tiroir est plus facile d'accès. »
« La norme de résolution des conflits »
Selon lui, le couteau est « la norme de résolution des conflits pour la jeunesse violente ». « C'est la norme dans un très petit nombre, mais ce nombre est de plus en plus voyant et impactant. Et cette violence vient potentiellement toucher tout le monde, car elle s'exerce dans et aux abords des établissements scolaires », poursuit-il.
Benjamin CAMBOULIVES pointe la « multiplication de ces attaques » et relève « un rajeunissement des auteurs ». Sur le terrain, « on constate de façon récurrente des violences avec de très jeunes qui ont 12 ou 13 ans et un phénomène d’hyper-réactivité et susceptibilité qui font qu’ils vont sortir leur couteau pour trois fois rien ». Un geste qui serait du « mimétisme avec les méthodes du narcotrafic », selon le syndicaliste.
Pour le psychiatre Thierry Delcourt, l’exposition des mineurs à des jeux ou films violents peut expliquer l’utilisation des couteaux par les plus jeunes. « Des enfants regardent des jeux interdits pour leur âge avec l’idée qu’on peut rejouer la partie et qu’il n’y a pas vraiment de mort », détaille-t-il.
« Ils sont dans une position passive. Ils reçoivent ces impacts violents en étant installés derrière leur écran, mais où il n’y a pas d’action. Il y a quelque chose qui s’accumule et ils vont nourrir une espèce de tension. »
Un jeune en possession d'un couteau « a un rapport à la violence qui est vicié. C'est soit qu'il a une intention de violence, un projet de passage à l'acte, soit il considère que la violence est tellement quotidienne, tellement banalisée, qu'en partant de chez lui, il s'y attend et à cette arme sur lui pour se défendre, attaquer ou encore intimider », note de son côté Benjamin CAMBOULIVES.
Le gouvernement promet « des fouilles inopinées »
Ces agressions sont devenues au fil des mois une affaire politique. Le 21 février dernier, Élisabeth Borne a annoncé sur BFMTV-RMC qu'elle souhaitait la mise en place de « fouilles inopinées de sacs » à partir du printemps afin de lutter contre les violences à l’école et aux abords des établissements scolaires.
Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, a lui aussi exprimé le souhait que des « fouilles ponctuelles » des sacs des élèves soient autorisées, le contrôle visuel étant la seule possibilité offerte à ce jour pour vérifier la présence d'armes blanches.
À Paris, un plan de lutte axé sur la prévention contre l'usage des couteaux par les adolescents a été présenté par la préfecture de police de Paris, la mairie, l'académie et le parquet la semaine dernière. « On entend parfois qu'une arme blanche, c'est pour se défendre : c'est une très grande erreur, car dans un moment d'énervement, d’exaspération, un adolescent peut s’en servir et perdre le contrôle », a martelé Bernard Beignier, le recteur de l’académie de Paris.