Ce vendredi matin, sur les ondes de France Inter, le directeur général de la police nationale Éric Morvan a dénoncé « l’indécence » de la course aux cagnottes, invitant à donner plutôt « à la recherche médicale ». « La police nationale n’a pas besoin de cagnotte », a-t-il martelé.
Plusieurs cagnottes ont été lancées sur des plateformes numériques de collecte de fonds en faveur des forces de l’ordre, en réaction à celle créée en soutien à l’ex-boxeur Christophe Dettinger, soupçonné d’avoir agressé deux gendarmes à Paris samedi 5 janvier. Dans le viseur d'Éric Morvan, la collecte lancée mardi sur le site Leetchi par Renaud Muselier, président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), est celle qui a rencontré le plus de succès, récoltant à ce jour plus d’1,4 million d'euros.
Après avoir dépassé la barre des 200 000 euros, mercredi 9 janvier, le montant de la cagnotte s’est envolé dans la nuit du 9 au 10 janvier. Jeudi, la police nationale a déjà réagi sur son compte Twitter, mettant en garde les éventuels donateurs : « Les cagnottes de soutien aux forces de l’ordre relèvent d’initiatives individuelles ou associatives. Attention, nous n’avons aucune garantie de la destination finale des fonds collectés. »
Pourquoi une telle défiance ? Parce que le président de la région PACA a annoncé que la somme serait redistribuée à l’Amicale de la police nationale, ce qui fait tousser les rares personnes au sein du ministère de l’intérieur qui connaissent l’existence de cette association.
Car l’Amicale est liée avec Alliance police nationale, syndicat majoritaire chez les gardiens de la paix et classé à droite. Selon nos informations, les deux entités sont liées par une convention de partenariat, signée le 13 mai 2014, et dans laquelle l’Amicale s’engage « à relayer l’identité visuelle d’Alliance police nationale sur ses différents supports », « à [lui] présenter, au préalable à toute réalisation ou diffusion, ses projets de communication la concernant », « à [l’] inviter à participer aux différents événements organisés par l’amicale après validation de son bureau ».
Surtout, « l’Amicale de la police nationale s’engage à un partenariat exclusif avec Alliance police nationale. Aucune autre convention ne pourra donc être contractée par l’Amicale police nationale avec un syndicat directement concurrent d’Alliance police nationale ».
Et il se trouve que l’un des deux signataires de cette convention, le secrétaire général du syndicat Alliance – le Marseillais Jean-Claude Delage – est un ami d’enfance de… Renaud Muselier. Interrogé sur France Info jeudi, Stanislas Gaudon, le porte-parole du syndicat, s’était félicité de la démarche, mais avait assuré qu’Alliance prenait de la distance « par rapport à une aide politique. On essaie d’anticiper le fait que certains pourraient interpréter cette aide parce qu’elle est à l’initiative d’un élu politique [Renaud Muselier, LR] ». C’est raté.
Contacté, Denis Jacob, le secrétaire national d’Alternative police-CFDT, nous confirme les liens entre les structures et les hommes : « Il est de notoriété publique que Renaud Muselier est un intime de Jean-Claude Delage et qu’Alliance aurait une convention exclusive avec l’Amicale de la police nationale, qui interdit tout autre syndicat de gradés et de gardiens de la paix à en être partenaire. Cela ne veut pas dire qu’il y a un loup, mais compte tenu de l’actualité sensible avec les gilets jaunes face aux policiers, vu les polémiques avec la cagnotte de Dettinger et pour éviter toute suspicion inutile, il conviendrait que les fonds soient reversés à une ou plusieurs associations reconnues d’utilité publique pour les forces de sécurité publique. »
Même son de cloche chez Philippe Capon, le secrétaire national de l’Unsa-Police : « On récupère de l’argent sur le dos des policiers mais, pour ma part, je ne sais pas qui va gérer les critères d’attribution de ces sommes. Les collègues vont se demander : “Est-ce que seuls les policiers adhérents d’Alliance bénéficieront des dons ?” C’est malsain… »
Du côté des officiers, on s’étonne aussi. Jean-Marc Bailleul, le secrétaire général du syndicat des cadres de la Sécurité intérieure (SCSI), raconte qu’avec son bureau, ils avaient eux aussi songé à monter une cagnotte en soutien des forces de l’ordre, mais avaient abandonné l’idée par crainte du mélange des genres. « Que l’intention de Renaud Muselier soit saine, c’est évident, veut croire Jean-Marc Bailleul. En revanche, il faut que cela soit transparent et cela ne peut pas être géré par une association qui est une succursale d’un syndicat. Il va y avoir un problème d’autonomie qui mérite d’être clarifiée. Sinon, ça va encore jeter le discrédit sur la police. »
Au plus haut niveau du ministère de l’intérieur (et au-delà toutes querelles syndicales), on s’inquiète du devenir de ces fonds. « Administrativement, nous n’avons pas les moyens de vérifier comment ils seront redistribués ni par qui… »
Sous le couvert de l’anonymat, on regrette que la cagnotte ne soit pas destinée à l’une des trois associations reconnues d’utilité publique, avec lesquelles la police a l’habitude de travailler : Orpheopolis, destinée aux orphelins de la police, la fondation Louis-Lépine, qui organise l’action sociale au sein de la préfecture de police, et la fondation Jean-Moulin, qui s’occupe de l’action sociale au profit de tous les fonctionnaires et agents du ministère de l’intérieur. Aucune de ces trois associations n’a de convention avec un syndicat.
Joint vendredi soir par Mediapart, Renaud Muselier s’explique sur la polémique : « J’ai demandé à mes amis policiers à quelle association je pourrais donner l’argent. On m’a recommandé cette amicale, j’ai regardé, elle est remarquable. J’ai agi sans aucune arrière-pensée politique. Maintenant, le succès est tel que je rencontre des problèmes d’équité avec ceux qui représentent la police nationale, les syndicats qui se battent entre eux, les gendarmes qui disent que “ce sont nos hommes qui ont été blessés par le boxeur”, les pompiers qui ne veulent pas être associés aux forces de l’ordre… Il y a des guerres de clochers parce que j’ai eu beaucoup plus de succès que les autres [organisateurs de cagnottes de soutien aux policiers]. Le succès entraîne la jalousie. »
Concernant sa proximité avec le secrétaire général d'Alliance, le président de la région PACA n’en fait pas de mystère. « Jean-Claude Delage est un de mes amis, et ce de longue date. Mais ce n’est pas lui qui m’a suggéré cette amicale. J’ai appris les liens entre l’amicale et son syndicat après avoir fait mon choix », assure-t-il.
Articile rédigé par Matthieur SUC - médiapart
https://www.mediapart.fr/journal/france/110119/les-beneficiaires-de-la-cagnotte-des-policiers-sont-lies-au-syndicat-alliance?onglet=full