Sur place, personne n'est surpris de l'agression de trois policiers, dont une femme, par des dizaines d'individus place Gabriel-Péri, le 20 juillet.
C'est sur cette place que se réunissent pickpockets. vendeurs à la sauvette de cigarettes de contre bande de médicaments (anxiolytiques et antalgiques), dealer de cannabis. Le vendeur de tabac fait contre mauvaise fortune bon coeur : « Régulièrement le matin, quand je sors du métro pour rejoindre le tabac, les trafiquants me proposent leurs cigarettes. Un jour, il faudra que je leur dise que je vends aussi, mais de manière légale! »
À l'automne dernier, le supermarché Casino de la place Gabriel-Péri ainsi que le McDonald's décidaient d'instaurer des horaires restreints face à l'insécurité, notamment le soir : fermeture à 17 heures plutôt qu'à 19 h 30 pour le supermarché, et à 15 heures pour McDonald's, qui invitait les clients du soir à se rabattre sur le guichet extérieur utilisé pour la vente à emporter. Depuis, le fast-food a retrouvé ses horaires traditionnels, tout comme Casino. Mais une protection a été déployée « En fonction des périodes plus ou moins difficiles, on est entre deux et cinq vigiles pour le supermarché », explique l'un des agents de sécurité. « C'est un peu notre Barbès! », résume un habitant.
Explosion des violences
Contrairement à d'autres quartiers difficiles, la Guillotière est loin d'être enclavée. Bien au contraire. « Nous sommes dans le centre de Lyon, le quartier est desservi par le métro et le tram, les universités sont à proximité, tout comme les sites touristiques. Cela amène des clients et, plus largement du passage » note Jérémy HERRERO, policier depuis vingt et un ans, dont quinze à Lyon. « La majorité des incidents se concentrent sur la petite plate Gabriel-Péri, devenue un point de fixation depuis quelques années pour les trafiquants en tout genre », remarque ce membre du syndicat Alternative Police CFDT.
A la suite du lynchage des trois policiers, la présence des forces de l'ordre s'est accrue. Mais le climat ne s'améliore pas pour autant. « Récemment j’ai vu un jeune se faire arracher sa chaine en or par trois hommes, et, plus tard, deux autres voler le téléphone portable d'une femme », raconte le boucher halah dans sa boutique, Chez Bachir, tenue de père en fils depuis trente-six ans. Le commerçant n'a pas souhaité vivre ici, même s'il précise n'avoir jamais été ennuyé :
« Généralement, on évite d’embêter un boucher ! »
II observe néanmoins une montée des incivilités depuis une dizaine d'années et une explosion des violences depuis le Covid.
Vice-président de l'association des commerçants du cours Gambetta, au milieu de la Guillotière, Bruno Dupuis envoie annuellement, depuis 2018, un courrier aux mairies des deux arrondissements concernés, à la mairie centrale et la préfecture afin de les alerter sur la saleté et l'insécurité croissantes. Il n'a jamais reçu de réponse. A cela s'ajoute une offre commerciale ne correspondant plus vraiment à la sociologie des habitants : pas de traiteur, ni d'épicerie fine, plus de théâtre, mais une multitude de boutiques de téléphonie, de kebabs, tacos et de coiffeurs afro.
Le quartier ne peut cependant pas se résumer à ce climat délétère. Situé à moins d’un kilomètre de l'imposante place Bellecour, à proximité des quais du Rhône, il ne manque pas d'atouts. Longtemps classé QVA, c’est-à-dire « quartier de veille active », grâce à l'augmentation du revenu médian des habitants. Sur le papier, tout pour plaire. Ou presque. Julia, 27 ans, vit en colocation rue de Marseille, à quelques mètres de la place Gabriel Péri, depuis trois ans.. « C'est multiculturel, extrêmement bien situé avec des loyers encore abordables : on ne trouve rien d’équivalent dans la ville », souligne cette employée d'une coopérative de type Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP). « J’ai de l'empathie pour ces hommes, ils ne sont pas ici par plaisir, s'ils pouvaient faire autre chose que vendre de fausses cigarettes, ils le feraient. En même temps, j'ai de la colère quand je les vois dégrader notre quartier ou tenir des propos sexistes », confie la jeune femme.
« Tous se côtoient »
Nombre d'habitants ne cachent pas leur attachement à ce lieu. « On a aussi une vie de quartier très riche. En ne parlant de la Guillotière que pour sa violence, les médias contribuent à entretenir une image néfaste », explique une mère de famille résidant depuis dix ans rue de Marseille. « D'ailleurs, si on bénéficie de classes de maternelle tout niveau, d'une directrice, c'est grâce aux enfants hors secteur. Sans ces enfants de migrants, il n'y aurait pas assez d'enfants pour maintenir l'école telle qu'elle est », insiste-t-elle.
Claude Brena est à la tète de l'Arche de Noé, une structure socio-éducative de l'Armée du salut consacrée à l'animation sociale et située au cœur de la Guillotière. L'accueil y est inconditionnel. Une fois par semaine, une association de défense des droits des étrangers y assure une permanence. « Le vendredi, ici, c'est la préfecture! », lache-t-il en souriant. Claude Brena veille ace que des solutions soient apportées aux problématiques rencontrées sur le terrain.
À quelques centaines de mètres de là, la place Mazagran fait figure de version réduite du quartier : des migrants guinéens, dealeurs de cannabis, pour beaucoup, en occupent en permanence une partie. À coté, des étudiants jouent à la pétanque. Les jeunes actifs se retrouvent au bar-restaurant Le Court-Circuit qui propose des produits bio et locaux. « Même s'ils ne se croisent pas, tous se côtoient », souligne Claude Brena. La préfecture étant située à 500 m de la Guillotière, logiquement, les associations d'aide aux migrants prennent leurs quartiers aux alentours.
Le problème dépasse l'échelon municipal. « Ce que vous vivez à Paris, Ile-de-France. Nous le vivons par la suite dans les grandes villes de France », observe Jérémv Herrero. En toile de fond, l’absence de peur de l’uniforme, un sentiment d’impunité, une justice qui n'arrive plus à suivre le rythme de la délinquante.
Et surtout, une politique migratoire non maîtrisée. L'essentiel des trafiquants de la place Gabriel Péri est constitué d'algériens en situation irrégulière en France. En visite dans la ville le 30 juillet, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé l’ouverture d'un nouveau centre de rétention administrative à Lyon, espérant ainsi accélérer les reconduites à la frontière.
Contactés, ni les maires des IIIe et VIIe arrondissements, Véronique Dubois-Bertrand et Fanny Dubot. ni le maire de la ville de Lyon, Grégory Doucet, tous écolos, n'ont souhaité répondre à nos sollicitations.
Députée EELV de la circonscription, Marie-Charlotte Garin ne cherche pas à éviter les journalistes. « La mandature actuelle, comme la précédente, rencontre des difficultés avec ce dossier. En ne faisant que du répressif, on prendrait le risque de déplacer le problème », estime la députée, qui croit aux actions locales des « acteurs du vivre-ensemble ». L'optimisme, une espérance nécessaire à la Guillotière.