Une jeune femme tuée par la police et des questions. L’actualité relance la question de la bonne utilisation de l’arme de service et de la légitime défense des policiers alors que Rayana, 21 ans, a perdu la vie, samedi, après que le conducteur d’une voiture dont elle était passagère a refusé de se soumettre à un contrôle de police : les agents ont tiré à de multiples reprises, plusieurs balles l’atteignant à la tête. A ce stade, les versions des témoins et des policiers s’affrontent. Et la récupération politique va bon train à quelques jours des législatives.
Les policiers concernés n’ont pas été déférés, indice du manque d’éléments pour les inculper à cette heure. Ce mercredi, la famille de Rayana a fait partde son intention de porter plainte : à la fois contre l’homme qui était au volant du véhicule et contre les policiers. S’il est difficile de faire un lien direct à cette heure, la question de la formation des policiers revient régulièrement sur le tapis. Selon Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative Police CFDT, les policiers ont trois stages de tirs obligatoires par an. Alors que cette fréquence lui semble insuffisante, il apparaît que la hiérarchie n’arrive même pas à dégager assez de temps aux policiers afin qu’ils répondent à cette obligation. Il répond aux questions de Libération.
Comment se déroule la formation des policiers en matière d’usage de l’arme ?
Il ne faut pas oublier que nous sommes majoritairement formés à ne pas utiliser l’arme. L’objectif est d’éviter le tir autant que faire se peut. Néanmoins, pendant la formation initiale, qui est revenue à une durée de douze mois après une période pendant laquelle elle ne durait plus que huit mois – ce qui était une aberration sans nom –, il existe évidemment des cours sur l’arme.
D’abord l’apprentissage théorique, avec des cours sur toutes les armes potentiellement utilisées par la police nationale. On explique ce qu’est une détente, une ligne de mire… On n’est généralement pas aguerri aux armes quand on vient d’arriver. On a ensuite la phase de mise en pratique, on prend les armes en main et on apprend et les démonter et les remonter le plus rapidement possible. Et finalement, les cours pratiques qui consistent en des mises en situation pour les collègues : le tir sur cible statique ou en mobilité, puis les mises en situation. Par exemple, à l’école de Nîmes, il existe un petit village qui a été reconstitué dans lequel on peut créer des scénarios et se confronter à un semblant de réel. On intervient, on met en joue mais on ne tire pas. Tout cela est fait de manière régulière pendant un an. A la sortie d’école, le policier est familiarisé avec l’usage de l’arme.
Est-ce satisfaisant ?
Disons que la réalité du terrain n’est pas la réalité de la formation initiale. On se retrouve face à des situations toujours différentes, que l’on ne maîtrise pas.
Et du côté de la formation continue ?
Ça, c’est un vrai sujet. Nous sommes dans une situation inquiétante que nous dénonçons depuis plusieurs années. Tous les agents ont normalement obligation de participer à trois séances de tirs par an. Trois séances de 30 cartouches pour être précis. C’est trop peu.
Pire, nous savons qu’une partie des collègues n’ont même pas le temps pour ces exercices. L’organisation des services de police et les effectifs ne le permettent pas. Si des agents partent en stage de tir, les missions ne seront pas assurées. Il faut savoir que pour utiliser son arme de service, il faut être habilité. Et pour avoir cette habilitation, il faut obligatoirement avoir fait vos trois séances de tirs annuelles.
Autrement dit, une partie des fonctionnaires de police ne sont temporairement plus habilités à utiliser leur arme ?
Exact. Il faut donc a minima que tous les effectifs puissent participer à ces stages. Dans l’idéal, il faudrait même renforcer ces entraînements. Proposer des exercices avec des cibles mouvantes, une femme avec un enfant, un homme armé… Afin que les agents apprennent à prendre la bonne décision.
Le problème n’est-il justement pas plutôt de savoir quand on doit utiliser son arme?
Savoir bien tirer est aussi important, mais savoir quand tirer est le plus difficile. Nous avons des cours avec des cibles mouvantes de forme humaine. Quand elles apparaissent, elles peuvent être armées ou non, on doit prendre la décision de tirer ou pas en un dixième de seconde. Mais on ne peut pas vraiment faire plus. On ne peut pas se rapprocher suffisamment d’une situation réelle pendant laquelle on doit juger si nous sommes en situation de légitime défense ou non. Au final, même si l’expression n’est pas forcément appropriée, c’est le policier qui, «au feeling», va savoir s’il est en droit d’utiliser son arme. C’est une analyse qui sera toujours subjective…
Et on ne peut pas limiter cette subjectivité par des études de cas par exemple ?
On pourrait… Mais chaque situation est si différente. Un collègue peut estimer avoir été en insécurité suffisante, tirer, puis une analyse conclura plus tard que non, en se décalant d’un mètre, le policier pouvait se sortir de la situation sans tirer. J’ai déjà vécu cette situation et, heureusement, je n’ai pas tiré. Vous n’imaginez pas à quel point cela est rapide, à quel point il peut être difficile de trouver une autre solution que le tir. C’est très compliqué de faire l’analyse de notre environnement. C’est d’ailleurs toute la complexité des règles, que l’on apprend en école, de la légitime défense.
De toute façon, plus il y aura de formation, plus ce sera bénéfique et sécurisant, pour les agents en premier lieu. Quand on connaît bien son arme et que l’on a une bonne assurance avec, on maîtrise beaucoup mieux la situation. On se laisse moins emporter par des émotions.