Après la petite phrase d'Emmanuel Macron qui a envie d'emmerder les non-vaccinés, au tour de Valérie Pécresse de tenter le buzz. Pour lutter contre l'insécurité, la candidate LR veut « ressortir le Kärcher » que Nicolas Sarkozy avait promis de passer, en 2005, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. Et pour quel bilan ? On fait le point.
« Je vais ressortir le Kärcher de la cave. Cela fait dix ans qu’il y est et il est temps de l’utiliser. Il s’agit de remettre de l’ordre dans la rue. » Valérie Pécresse n'a pas mâché ses mots pour s'attaquer « à la violence des nouveaux barbares » dans un entretien accordé à nos confrères de La Provence. Tentant de conquérir les cœurs à droite, la candidate LR reprend ici une expression chère à Nicolas Sarkozy du temps de son passage à Beauvau.
La phrase, restée depuis dans les annales politiques, avait été prononcée en juin 2005 lors d'un déplacement à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) du ministre de l'intérieur, à la suite de la mort de Sidi Ahmed Hammache, jeune garçon de 11 ans, abattu d'une balle perdue en plein cœur, sous les yeux de sa mère. À l'époque, le premier flic de France s'était engagé devant les parents de la victime à « nettoyer au Kärcher » la cité des 4 000, lieu du drame… Ces belles paroles ont-elles été suivies des faits ?
Après la petite phrase d'Emmanuel Macron qui a envie d'emmerder les non-vaccinés, au tour de Valérie Pécresse de tenter le buzz. Pour lutter contre l'insécurité, la candidate LR veut « ressortir le Kärcher » que Nicolas Sarkozy avait promis de passer, en 2005, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. Et pour quel bilan ? On fait le point.
POLITIQUE DU CHIFFRE
Retour vingt ans plus tôt lorsque Nicolas Sarkozy accède au ministère de l'Intérieur en 2002. « Historiquement nous n'avons jamais eu autant de moyens financiers et matériels avant le mandat de Jacques Chirac, nous avons été privilégiés par rapport aux autres fonctionnaires », reconnaît Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative Police, lequel salue le plan pluriannuel de plus de 2 milliards alloués aux forces de l'ordre durant le premier passage de Nicolas Sarkozy à l'Intérieur, de 2002 à 2004. Il souligne cependant que « la deuxième fois au ministère (2005-2007), ça a été moins probant. Il a été fort en propos mais peu concret dans les actes. »
Si on observe une diminution des faits de délinquance et de criminalité constatés par les forces de l'ordre entre 2001 et 2007 – 4 061 792 contre 3 589 293 six ans plus tard –, période correspondant à l'occupation intermittente du portefeuille de l'Intérieur par Sarkozy, Mathieu Zagrodzski, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), rappelle que les mesures mises en place pour obtenir ces résultats étaient « court-termistes » et relevaient de « l'import de méthodes managériales venues du privé » : « Le passage à Beauvau de Sarkozy est caractérisé par deux axes principaux : la mise en place d'une culture du résultat tout d'abord, ou politique du chiffre pour ses détracteurs, visant à fixer des objectifs statistiques aux policiers afin de les mettre sous pression », détaille le chercheur.
« Cette politique est porteuse des effets qu'on connaît, poursuit-il. Quand on est la tête de la police, c'est compliqué de quantifier le nombre de crimes et délits. Il y a une distorsion de la réalité et il n'est pas rare que l'on triche sur les chiffres. »Par exemple, en classant des délits dans la catégorie contravention. Imaginez que vous rentriez à votre domicile et que vous constatiez une tentative de fracture de la porte. Personne ne s'étant introduit, le policier peut alors choisir de considérer la tentative de cambriolage comme une dégradation volontaire. « Les statistiques servent normalement à piloter les services et évaluer la situation sur le terrain. Alors que maintenant, peu importe ce que les chiffres recouvrent. C'est un effet pervers typique, où le moyen devient une fin en soi », regrette l'expert.
LA POLICE DE PROXIMITÉ, C'EST FINI !
Second aspect de la politique sécuritaire sarkozyste : combattre la délinquance du quotidien. Pour ce faire, tout un arsenal juridique est déployé sur la période 2002-2007, comme la pénalisation de la mendicité agressive, du squat des halls d'immeuble ou du racolage passif. Mais un certain nombre de ces mesures se sont avérées bancales sur le plan juridique et difficilement applicable. Le chercheur abonde : « En définitive, sa déclaration sur le Kärcher, tout comme celle sur les racailles [en octobre 2005 sur la dalle d'Argenteuil] n'a rien donné de concret. »
Une dégradation des moyens est même plutôt observée. En 2003, le premier flic de France décide de supprimer la police de proximité, brigades polyvalentes chargées aussi bien de réprimer que de prévenir les infractions. « Le travail de prévention que vous faites est très utile, mais vous n'êtes pas des travailleurs sociaux. Organiser un match de rugby pour les jeunes du quartier, c'est bien, mais ce n’est pas la mission première de la police. La mission première de la police ? L'investigation, l'interpellation, la lutte contre la délinquance », avait à l'époque lancé Nicolas Sarkozy au père de la police de proximité, Jean-Pierre Havrin, lors d'un déplacement à Toulouse.
DOUBLE PEINE RÉFORMÉE, PAS ABOLIE
Denis Jacob était lui-même îlotier dans les années 1990, l'ancêtre de la police de proximité mise en place par le gouvernement de Lionel Jospin en 1998 : « Nous étions la première source d'information sur les réseaux de trafiquants », raconte-t-il, fustigeant la fermeture des commissariats de quartier commencée sous Mitterrand et poursuivie sous Chirac.
Le ministre de l'Intérieur avait dès l'automne 2002 fait passer une circulaire « disant en substance "la proximité, c'est fini, maintenant on met le paquet sur les BACs et l'investigation », rappelle Mathieu Zagrodski. Le tout répondant à un triptyque bien déterminé : intervention, interpellation et investigation. Le tout afin de répondre à une hausse de la délinquance. « En 2000 et 2001, on observe une augmentation de 6 % et 8 % de la délinquance en général. Mais il s'agit d'un agrégat de toutes les infractions en France. La campagne de 2002 se déroulait autour de cette problématique et l'un des arguments avancés était que la police de proximité n'était pas efficace, voire qu'elle était responsable de cette hausse », explique le spécialiste.
Autre paradoxe de la politique sécuritaire du ministre Sarkozy : la limitation de la double peine en 2003, que les candidats au congrès LR, dont Valérie Pécresse, appellent pourtant de leurs vœux. La mesure n'a pas été supprimée, contrairement à leurs dires. Les catégories exemptées du principe ont simplement été étendues aux étrangers arrivés en France avant 13 ans, ou résidant en France depuis plus de 20 ans.
RECORD DE SUPPRESSION DE POSTES SUR LE QUINQUENNAT
Si le bilan de Nicolas Sarkozy à l'Intérieur est reconnu par Denis Jacob, son regard est plus mitigé sur celui de son mandat élyséen : « La présidence pour nous n'a pas été profitable », lâche-t-il. Dans l'ensemble, la politique sécuritaire de l'ex-président de la République (2007-2012) n'a entraîné, au total, aucune augmentation ou diminution du nombre de policiers en France. « La balance est neutre,expose le chercheur Mathieu Zagrodski. Il y a eu une augmentation record lors de son passage au ministère de l'Intérieur suivie d'une diminution record quand il était à l'Élysée, où les effectifs ont été réduits de 10 000 postes – gendarmes et policiers confondus – par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. C'est cette réduction qu'on a retenue de son bilan. »
Nicolas Sarkozy veut à l'époque rationaliser les moyens policiers. Sa révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en 2007 lui permet notamment d'opérer un processus de mutualisation entre police et gendarmerie. Dès 2009, la gendarmerie nationale est rattachée au ministère de l'Intérieur, sauf lorsqu'il s'agit d'opérations extérieures au territoire français. Les achats sont mis en commun, les groupes de patrouille sont réduits de trois à deux, certains commissariats se vident de leurs effectifs.
« Au début de son quinquennat, François Hollande promet de créer 10 000 postes », retrace Mathieu Zagrodski. Mais le socialiste recrute des agents de police contractuels, dont le contrat court sur trois ans renouvelable une fois, et qui ne sont pas des policiers de plein droit. Il faudra attendre les attentats de 2015 pour qu'une augmentation du nombre d'agents soit réellement engagée. « Le réenclenchement se fait dans l'urgence, détaille le spécialiste. Les formations sont normalement de douze mois mais on décide de les raccourcir à huit. Un second problème émerge : l'abaissement du niveau de recrutement », dû notamment au besoin massif de renforts policiers, obligeant les recruteurs à embaucher des candidats au rabais.
En 2008, une autre institution fait les frais des expériences sarkozystes : les renseignements généraux. « On les a remplacés par le service central du renseignement territorial. Cela n'a plus rien à voir avec le général, s'insurge Denis Jacob. Les RG s'occupaient de tout : du risque terroriste, de l'extrême droite, des hooligans, des violences urbaines. Aujourd'hui, le renseignement territorial se charge seulement de l'information générale et le reste a été pour partie donné à la DGSI. On a divisé un service qui fonctionnait très bien, tout le monde en convient aujourd'hui. »
ET MAINTENANT ?
Le syndicaliste Denis Jacob observe aujourd'hui une progression du nombre de policiers « Dans les années 1990, il y avait 96 000 policiers gradés et gardiens de la paix. Aujourd'hui, nous en avons plus de 106 000, les 10 000 postes créés par Emmanuel Macron compris ». Ce qui n'a servi à rien, selon lui : « Notre institution a besoin d'être réorganisée et restructurée en interne. Il faut être au quotidien auprès des policiers, qui sont menacés, violentés voire tués. La violence n'a pas augmenté ou diminué, elle est simplement beaucoup plus forte. Il y a vingt ans, on se prenait des pavés certes. Mais on n’en était pas encore arrivé à cette régularité quotidienne d'essayer de blesser ou de tuer un policier. Et c'est pareil pour les habitants des quartiers. »
Lui plaide pour un plan interministériel, « réunir tous les acteurs autour de la table » dont la justice et faire revenir les services publics dans les banlieues. « On ne fait plus de la politique de la ville. Ou est passé le plan Borloo, qui avait le mérite d'être ambitieux ? Où sont les encadrants ? Où est la politique économique pour les quartiers difficiles ou les services publics ? La seule représentation de l'État, c'est nous et on passe pour les ennemis. On part du principe que c'est la police nationale qui va régler tous les problèmes d'insécurité dans notre pays. Il faut une action répressive oui, mais elle doit aussi s'accompagner d'une reconquête républicaine des quartiers difficiles. »