Pourquoi nos ados ont des lames dans leurs sacs ?
Une minute de silence s’est tenu le 12 juin 2025 dans tous les établissements scolaires en hommage à la surveillante tuée mardi par un collégien. Ce drame s’ajoute à une série de violences impliquant des mineurs armés. Si le port de couteaux reste marginal, il interroge : que cherchent ces adolescents en glissant une lame dans leur sac ?
Le drame survenu ce mardi au collège Françoise Dolto à Nogent (Haute-Marne) n’est pas un cas isolé. Depuis plusieurs semaines, les violences impliquant des jeunes et des armes blanches sont récurrentes. Entre janvier et fin mai, des agressions au couteau ont tué à Dax, Yerres (Essonne), Nantes, Marseille ou encore Paris. Les victimes étaient toutes mineures. Comme la plupart des meurtriers présumés interpellés à ce stade.
Des couteaux pour quoi faire ?
Dans le sillage du décès de Sekou, 17 ans, mortellement poignardé près d’un lycée de Yerres (Essonne) en mars, le gouvernement a lancé des opérations de contrôles aléatoires devant les établissements du secondaire, à la recherche d’armes dissimulées dans les sacs des élèves. Selon un bilan encore provisoire dévoilé ce mardi, plus de 6.000 fouilles ont été effectuées du 26 mars au 23 mai, qui ont débouché sur la saisie d’au moins 186 couteaux et 225 autres objets susceptibles de constituer une menace. Le phénomène est donc loin d’être généralisé. Mais il existe. Question : pourquoi certains ados glissent une lame dans leur cartable, comme ils y mettent chaque matin un manuel de maths ou une trousse ? « Il n’y a pas une seule et même réponse, mais une grande variété de motivations selon les cas et les personnes », pose Éric Debarbieux, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris-Est Créteil (*). « Certains le font pour se protéger, d’autres pour menacer, d’autres pour se venger de faits de harcèlement, d’autres encore juste pour frimer. Sachant qu’entre la possession et l’utilisation, il y a quand même, heureusement, une grande différence… »
« Il peut y avoir des raisons très variées », abonde Jean-René Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). « Ceux qui ont des pulsions de violence, ceux qui sont harcelés et pensent que c’est un moyen de se défendre, ou encore des élèves souffrant de troubles psy. »
Audrey Chanonat, membre du SNPDEN-Unsa, majoritaire parmi les personnels de direction de l’Éducation nationale, confirme la diversité des situations. « Il faut détecter les signaux avant-coureurs », insiste-t-elle.
« Le problème vient notamment du rapport vicié à la violence d’un nombre croissant de gamins, pour qui c’est presque un mode de vie », complète Benjamin Camboulives, porte-parole du syndicat Alternative Police CFDT. « Dans les cités, illustre-t-il, les petits sont très tôt sous la coupe des “aînés”, sur fond d’éducation familiale défaillante et d’échec du système scolaire, qui n’a plus de prise sur eux. Ils n’ont pas les valeurs de base et sont entraînés dès 8 ou 9 ans dans des pratiques déviantes. Résultat : porter des armes, pour eux, c’est complètement banal. »
Est-ce vraiment nouveau ?
Éric Debarbieux invite à la nuance sur ce point. « Scientifiquement, il est impossible de dire qu’il y a une augmentation, encore moins de la quantifier, tout simplement parce qu’avant, on ne comptabilisait pas comme on le fait depuis quelques mois. » Le spécialiste se souvient néanmoins que « dans les années 90 déjà », des chefs d’établissement rencontrés dans le cadre de ses travaux « avaient dans leurs tiroirs des armes, et notamment des couteaux, qui avaient été confisquées à des élèves ». Gare, donc, aux conclusions hâtives et à l’effet grossissant des récentes agressions. Audrey Chanonat relativise également l’ampleur du problème. « Je suis dans un collège de 450 élèves, en centre-ville de Cognac. En trois ans, j’ai eu affaire deux fois à des armes blanches. Il ne faut pas nier le phénomène pour autant. Il y a sans doute des zones qui sont bien plus touchées que la mienne, notamment en Île-de-France. »
En élargissant la focale, Éric Debarbieux note plus généralement une « double évolution » en matière de délinquance des mineurs en France. D’une part, et « contrairement à ce que l’on entend très souvent », les chiffres globaux sont orientés à la baisse. Les données ministérielles indiquent par exemple qu’en 2024, 228.000 mineurs ont été « mis en cause pour des infractions élucidées par la police ou la gendarmerie » ; ils étaient 274.000 en 2016, soit un décrochage de 16 %. La même trajectoire est observée dans les statistiques de jeunes poursuivis par la justice et de condamnations.
Parallèlement, complète Éric Debarbieux, « il y a une hausse des violences lourdes et graves, provoquée par une petite minorité d’individus ». Même si les totaux restent faibles dans l’absolu, le bond est notable. D’après les calculs du journal Le Monde, « le nombre d’adolescents poursuivis pour assassinat, meurtre, coups mortels ou violences aggravées a quasiment doublé depuis 2017, passant de 1.207 à 2.095 en 2023 ».
Quelles réponses ?
Interdiction des réseaux sociaux jusqu’à 15 ans et de la vente de couteaux, installation de portiques de sécurité… Comme à chaque drame médiatisé, celui de Nogent a suscité son flot de réactions et de propositions.
Benjamin Camboulives défend sans ciller l’option du serrage de vis. Le responsable d’Alternative Police CFDT se dit favorable à la suppression des allocations pour les parents de mineurs délinquants, seule façon selon lui de « culpabiliser l’enfant et de faire réagir des familles qui s’en lavent les mains ». Il est également partisan d’un durcissement du traitement pénal des ados récidivistes, via « la multiplication des comparutions immédiates et l’instauration de peines de prison ultracourtes, d’une ou deux semaines ».
Audrey Chanonat insiste, elle, sur l’urgence d’une politique plus profonde : « La santé mentale doit être une priorité absolue de l’Éducation nationale. Nos jeunes ne vont pas bien. Dès le collège, les clignotants sont au rouge. » La principale observe ces derniers mois « une très forte montée des violences intrafamiliales, des élèves en permanence sur les réseaux sociaux, sur les jeux vidéo, dont certains banalisent le recours à la violence comme la première réponse quand quelque chose ne va pas ».
Exaspéré par « les déclarations à l’emporte-pièce qui ne font qu’alimenter la soif de répression et le “technosolutionnisme” », Éric Debarbieux s’étonne que des voix s’élèvent encore pour réclamer l’installation de la vidéosurveillance et de portiques dans les établissements. « Ça fait des dizaines d’années qu’on sait que ça ne fonctionne pas, que ça ne donne aucun résultat tangible ! » D’après l’enseignant, « la seule mesure dont l’impact a été prouvé sur la violence scolaire, c’est la présence renforcée d’adultes – et je ne parle pas de policiers… Il faut aussi encourager les enfants à être le plus possible en groupe, entre camarades. Quand ils sont “en bande”, dans le bon sens du terme, ils sont beaucoup moins vulnérables et exposés. Dire ça, ce n’est pas faire de l’idéologie. C’est penser “efficacité”, tout simplement. »
L’élève voulait tuer une surveillante, « n’importe laquelle »
L’élève de 14 ans en garde à vue pour le meurtre, mardi, d’une surveillante de son collège à Nogent a indiqué aux enquêteurs qu’il voulait tuer une surveillante, « n’importe laquelle », a déclaré hier le procureur de la République de Chaumont Denis Devallois.
Il n’avait pas de « grief particulier » envers la victime et « indique avoir agi ainsi parce qu’il ne supportait plus le comportement des surveillantes en géné- ral, qui auraient eu, selon lui, une attitude différente selon les élèves », a déclaré le procureur de la République lors d’une conférence de presse.
L’adolescent ne présente « aucun signe évoquant un possible trouble mental », mais il apparaît « en perte de repères quant à la valeur de la vie humaine, à laquelle il ne semble pas attacher d’importance », a poursuivi le procureur. En garde à vue, il « n’exprime pas de regret, ni aucune compassion pour les victimes ».
Le collégien, sans pouvoir expliquer « précisément » ses « sentiments d’injustice subie et de colère », a confié avoir formé samedi « le projet de tuer une surveillante et, selon ses propres termes, “n’importe laquelle” », après un incident la veille. Une autre surveillante que celle tuée mardi l’aurait « sermonné vendredi […] alors qu’il embrassait sa petite amie au sein du collège », rapporte le procureur.
Mardi matin, après le petit-déjeuner, il dit avoir « pris le plus gros couteau qui se trouvait à son domicile pour, selon ses propres termes, “faire le plus de dégâts” », a détaillé Denis Devallois. Il a utilisé « un couteau de cuisine de 34 cm avec une lame d’une longueur de 20 cm ». La victime était chargée de « vérifier les carnets de correspondance des élèves » à l’entrée de l’établissement, poursuit le magistrat.
Il n’y a « pas de corrélation » entre ce projet « et la présence des gendarmes et ce contrôle inopiné à l’entrée du collège ce jour-là », a estimé le procureur : « On ne peut que s’imaginer avec effroi ce qui aurait pu advenir si les gendarmes n’avaient pas été présents » mardi devant l’établissement.
Denis Devallois décrit le collégien comme un jeune « sociable et plutôt comme un bon élève », issu d’une famille unie et insérée professionnellement. « Il utilise peu les réseaux sociaux », mais « il fait part d’une certaine fascination pour la violence et la mort, ainsi que pour les personnages les plus sombres des films ou des séries télévisées », a précisé le procureur. « Il est adepte de jeux vidéo violents, sans pour autant être “addict” à ces jeux, selon ses propres termes et selon les déclarations de ses parents », a-t-il poursuivi.
« Il avait un gros couteau de boucher »
Ce mardi 10 juin, aux alentours de 9 heures, une surveillante présente depuis peu au collège Françoise-Dolto de Nogent, en Haute-Marne, a été poignardée et a succombé à ses blessures. Un élève, âgé de 13 ans, a été témoin de la scène. Il raconte, encore sous le choc.
Il était 8 h 25 ce matin-là, Clément (*), élève de 4e au collège Françoise-Dolto, arrive en bus devant son établissement, avec des amis. À la descente, il remarque un autre élève, la main dans la poche de son pantalon. « On aurait dit qu’il cachait quelque chose… »
Des gendarmes sont déjà sur place pour une fouille des sacs, la deuxième depuis le début de l’année. Clément passe le contrôle et attend son ami. Mais au même moment, des cris retentissent. « Je vois Mélanie, notre surveillante, tomber. » L’agresseur, celui qui avait la main dans la poche quelques instants plus tôt, est juste à côté d’elle. « Il avait un gros couteau, un vrai couteau de boucher. Et il l’a plantée. » Clément ne distingue pas clairement où la jeune femme a été touchée, mais évoque des coups à la gorge, à l’épaule et dans le dos. « Mélanie est couchée et il y a du sang qui coule ».
« On a couru, on avait peur »
Les gendarmes interviennent immédiatement. Clément et son ami prennent la fuite. « On a couru. On avait peur. On a dit à nos potes que Mélanie s’était fait poignarder ».
D’autres surveillantes tentent d’abord de calmer les élèves en niant les faits. « On nous a
dit que c’était faux, que c’était une mise en scène. » Clément prévient sa mère discrètement par SMS, qui confirme rapidement l’agression, en lui indiquant qu’elle avait appelé le collège. Après un mouvement de foule, les parents sont confinés dans le gymnase et les élèves témoins sont pris en charge au CDI.
« On m’a proposé de voir un psy, mais pour l’instant je ne veux pas… J’espère que ça finira par passer. »
« C’était ma surveillante préférée, je l’adorais »
Encore sous le choc, Clément évoque quelques souvenirs avec Mélanie, la surveillante présente depuis plusieurs mois dans l’établissement, qu’il considérait comme “trop gentille”. « Une fois, j’étais puni, je ne pouvais pas manger avec mes amis. Et Mélanie, elle nous a autorisés à rester ensemble… C’était ma surveillante préférée. Je l’adorais. »
Sur les réseaux sociaux, les proches de la victime la décrivent comme « solaire », « douce et gentille ». Maman d’un petit garçon de quatre ans, elle était conseillère municipale dans son village de Sarcey, voisin de Nogent. Devant le collège Françoise-Dolto, des familles, passants ou proches, sont venus déposer hier matin des roses blanches, des bouquets et parfois un message.
Les cours ont été suspendus et devraient reprendre aujourd’hui. Une cellule psychologique restera activée au moins jusqu’à la fin de la semaine, selon le rectorat.
Nicolas Faucon, Stéphane Barnoin, Dounia Lemmouchia et Géraldine Messina